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Qu'est-ce que la "Bannière"?

Petite histoire de la bannière de mǎ wáng duī

 

Nous sommes au début de l’automne 1972, le maréchal Lin Biao, celui qui a rédigé le Petit Livre rouge, le fameux recueil des citations de Mao, puis s’était rebellé contre lui, venait d’être éliminé.

La « Bande des Quatre » arrivée au pouvoir, la révolution culturelle redoublait d’intensité, mais ce jour-là, ce n’est pas la ferveur révolutionnaire qui fait accourir le peuple au lieu-dit Ma Wang Dui (tumulus du roi Ma), mais une femme !

Cette femme, c’est la marquise de Dai, elle doit avoir une cinquantaine d’année, sa peau est claire, ses cheveux très noirs et ses membres extrêmement souples …

Pas de quoi attirer tant de monde  pour une marquise qui aurait dû être en ces temps révolutionnaires en rééducation au travail des campagnes  si celle-ci n’avait été enterrée au début de la dynastie des Han !

Elle reposait donc depuis  plus de deux mille ans sous 5 tonnes de charbon de bois recouvertes d’une épaisse couche d’argile blanche pour combattre l’humidité.

Son corps emmailloté dans 18 linceuls de soie et 2 de chanvre baignait entièrement dans un liquide épais rouge qui, pensait-on  à ce moment-là, avait garanti l’excellent état de conservation de son cadavre qui avait gardé sa souplesse.

Sur le second des 3 cercueils emboîtés, on avait placé une bannière de soie en forme de T racontant sous forme imagée et allégorique le trajet dans l’au-delà tel qu’on se l’imaginait 170 ans avant notre ère.

La marquise en train de cheminer vers l’au-delà. Elle n’est pas partie seule, mais avec 162 statuettes de serviteurs, musiciens, cuisiniers et danseurs.

Elle amenait également sa garde-robe, (Une des robes d’un mètre trente de haut et deux mètres d’envergure pesait seulement 49 grammes) des provisions, sa vaisselle, un nécessaire pour pique-nique et un jeu de baguettes de bambou qui est à ce jour le plus ancien témoignage de l’utilisation de cet ustensile.

 

Mais quel rapport avec nos exercices de la bannière et cette femme aurait-elle physiquement pu pratiquer ces exercices ?

 

Répondons d’abord à la deuxième question  : oui, cette femme pouvait pratiquer une activité physique  puisqu’il faut attendre un millénaire avant le début de la coutume des pieds bandés et l’enfermement qui en découla, des femmes de l’aristocratie.

Un « joli » pied qui pouvait permettre de faire un beau mariage devait faire moins de 7,5 cm !

Mais il ne permettait certes pas de marcher allègrement …

Cette mesure correspond à la largeur 3 pouces (san cun 三寸) mesure aussi utilisée pour trouver les points d’acupuncture, qui correspond à celle de 4 doigts de la main de la personne.

 

Il est d'ailleurs restée dans la vie courante une expression : "3 pouces, lotus d'or", mais il nous est bien difficile à nous européens de voir  une fleur dans la forme de ces pieds déformés.

Le supplice commençait à 6 ans. D’après J.J Matignon, médecin attaché à la légation et à l’hôpital français de Pékin au début du siècle : « Cette mutilation pouvait entraîner la mort (un cas sur dix disait-on…) et surtout, des complications : troubles vasculaires, gangrènes, ulcérations. Il n’y avait pas d’arrêt total du développement du pied mais plutôt perversion. »

Cette mode, née d’une danseuse qui affermissait ses orteils en les enroulant dans des bandelettes de soie ne touchait au départ la frange supérieure de l’aristocratie, mais elle se répandit en descendant petit à petit le long de l’échelle sociale. C’est vers le XVème  siècle qu’elle atteint les campagnes avec l’espoir que leurs filles, devenues belles aux petits pieds, un riche marchand en fasse une de ses concubines.

Pour les autres, au supplice subi, s’ajoutait le problème de travailler dans les champs, parfois à genoux pour soulager les pieds.

 

Voici les pieds de la marquise, ils sont tout à fait normaux ! (et vous pouvez constater au passage qu’ils n’ont pas l’air d’avoir plus de 2000 ans !)

 

Quant à la bannière, elle n’a aucun rapport avec nos exercices qui n’ont absolument rien de funèbre.

On peut cependant avoir une hypothèse sur la raison de la dénomination en France, mis à part la méconnaissance du graphisme de la dite bannière:

Lisez bien ces trois phrases :

- exercices de la bannière

- qi gong de Mawangdui

- mǎ wáng duī  dǎo yǐn shù 

Dans une heure, ou même cinq minutes, laquelle êtes-vous capable de redire sans erreur ?

En France on pratique donc les exercices de la bannière bien qu’ils ne figurent pas sur le cheminement mortuaire de la marquise de Dai !

Par contre la dénomination «mǎ wáng duī  » elle est bien justifiable.

mǎ wáng duī ( 堆 ) littéralement cheval, roi, tas-amas

Dans notre contexte, ce tas-là est un tumulus

 

L’usage dans les traductions de nom chinois fut de conserver la prononciation chinoise, c’est ainsi que Máo Zédōng n’a jamais été appelé Monsieur Poil en occident !

On traduira donc « tumulus du roi » et non tumulus du roi cheval bien que ce nom de famille ait été rendu célèbre en France par le facteur Cheval.

Mais ce roi, où est-il ?

Dans le même tumulus, les archéologues n’étaient pas au bout de leurs surprises.

L’année suivante, ils découvrirent la tombe de son mari, le Marquis de Dai et surtout, celle de son fils enterré la même année qu’elle. (à gauche, le mari, à droite en haut la femme, en bas son fils)

 

Si la marquise était partie avec sa domesticité, sa garde-robe, ses provisions et sa vaisselle, son fils, lui, avait emmené dans l’au-delà la fine fleur de sa bibliothèque !

Ses « livres » transcrits sur des bandes de soie pliées en accordéon traitaient de sujets fort divers :

- un traité sur l’art équestre et les soins des chevaux

- un traité d’astrologie

- un recueil de recettes médicinales

- des cartes de géographie militaire indiquant l’emplacement des garnisons. L’une d’entre elles a les indications des dénivelés par des courbes de niveau. C’est donc le plus ancien exemplaire connu de ce type de représentation.

- mais aussi le plus ancien document du dao de jing de Lao Zi et du yi jing faisant reculer de 700 ans le témoignage de ce dernier.

- et … enfin !!! un manuel de gymnastique  orné de dessins polychromes représentant des personnages en train d’exécuter des mouvements.

 

Du manuel de gymnastique aux exercices de la bannière.

 

Nous en étions à la découverte du manuscrit sur soie qui nous intéresse.

Pour qu’il nous soit parvenu, il fallut que les archéologues puissent être en contradiction totale avec les mots d’ordre du moment « détruisons toutes les vieilleries du passé » ! Heureusement …

 

La première étape fut la reconstitution  des dessins 

 

Ce manuel était accompagné de commentaires évoquant les animaux, oiseaux volants, ours escaladant une montagne ... D’ailleurs un texte certes beaucoup plus tardif  de ge hong  du 3ème siècle ne dit-il pas :

« Si l’on sait conduire le souffle à la manière du dragon, l’attirer et le faire circuler comme le tigre, s’étirer comme l’ours, avaler le souffle comme la tortue, voler comme l’hirondelle, se lover comme le serpent, s’étirer comme l’oiseau, s’étendre vers le ciel, se courber à terre…on vivra longtemps ».

En  2007 le centre de gestion du qi gong pour la santé  de l'université de Shanghai relevant du ministère « de la culture physique » a inventé sur la base des positions des  illustrations une série de 12 exercices créant ainsi le Qigong Mawangdui Daoyin shu .

Pourquoi le nom donné à ces exercices :

mǎ wáng duī  dǎo yǐn Shù ( )

dans le dictionnaire on trouve :

  : dǎo: mener, conduire, diriger 

 :yǐn: guider, conduire amener avec une idée supplémentaire d’attirer

术 :Shù  :art compétence technique.

Savoir conduire (2 fois !) , mais quoi ?

Pourquoi 2 synonymes accolés?

En chinois, il y a tellement de caractères qui se prononcent de la même façon alors qu’ils ont des sens différents que l’on donne souvent 2 caractères pour exprimer quelque chose :

Il y a, dans un dictionnaire courant,  une douzaine de dao et la moitié au 3ème ton

Des yin , c’est pire 2 douzaines mais seulement 4 au 3ème ton.

dǎo yǐn à l’oral pourrait donc être compris en théorie de 6 x 4 soit 24 façons différentes, mais une seule combinaison des caractères possibles a 2 fois le même sens.

On est battu à plates coutures avec nos  pauvres exemples maire, mère, mer  ou vert, verre !

Autre exemple : rèn shi . (2 fois connaître) il y a 7 rèn et 10 Shi au deuxième ton mais avec les 2 ensemble, il n’y a plus de doute. C’est comme si on disait « la mère maman est belle » pour que personne ne comprenne : « la mer est belle »

Mais revenons à notre dǎo yǐn, qu’est le non-dit que l’on doit conduire, guider, diriger : le  qì (chi en français) bien sûr !

Le sens ici est donc la nécessité de faire circuler  le zhèng qì, le qì véritable, énergie, souffle  qui assure et anime les fonctions physiologiques de l’organisme .

La déficience d’énergie véritable peut donner naissance aux maladies car le vide de  zhèng qì fait naître le xié qì d’influence néfaste qui dérange la santé et l’équilibre.

 

dǎo yǐn shù  est donc l’art de conduire  le souffle

 

Les spécialistes chinois pensent que dǎo yǐn shù  est à l’origine du tai ji quan ( tai chi chuan)

 

Aujourd’hui, dǎo yǐn shù  est une sorte de technique de préservation de la santé associant la respiration au mouvement du corps , elle fait partie du Qi Gong (travail du chi), en tant que gymnastique de santé moderne.

 

Il a pour but d'harmoniser le corps et l’esprit dans une succession de mouvements d'ouverture et de fermeture, ascendants et descendants, d'étirement et de relâchement.

Durant les exercices, il faut coordonner la respiration de façon naturelle avec les mouvements pour favoriser la circulation de  l'énergie à travers les méridiens ce qui a pour effet de réguler le qì, d'équilibrer le Ying et le Yang et de renforcer le corps.

D’ailleurs pour chaque exercice, Karin ou Philippe vous explique quel méridien est concerné.

Par des  mouvements lents, fluides et doux ces exercices faciles et variés permettent de pratiquer des étirements et des rotations bénéfiques pour le corps.

 

Ce dao yin est très populaire en Chine  car il est gracieux, complet, s’apprend rapidement et convient pratiquement à tous. D’ailleurs il y a pléthore de vidéo  sur les sites chinois

Une pratique régulière est cependant nécessaire pour obtenir un effet bénéfique sur le moral, l’état émotionnel et la condition physique générale.

Si vous voulez en savoir plus sur ces tombes, vous pouvez regarder la vidéo suivante : (45 minutes tout de même)

https://www.bilibili.com/vi deo/av1080698/?p=2

 

Avec ce que je vous ai déjà raconté, vous devriez à peu près suivre ou deviner par vous-même comme à la fin la reconstitution des visages.

Vous y verrez de très beaux objets, la fameuse robe que personne ne saurait re-fabriquer aujourd’hui, les cartes etc.

Je complète un petit peu :

La tombe ronde est celle du mari et les 2 carrés la mère et le fils, mort jeune la même année qu’elle.

Lors de la première fouille, ils ont cru que le liquide rouge dans lequel baignait la femme était la cause de l’excellent état de conservation et de souplesse après plus de 2000 ans.

Mais père et fils étaient dans le même liquide, mais pas du tout dans le même état de conservation !

L’autopsie de la dame a donc pu être faite, mais pas celle des 2 autres.

Elle a révélé de nombreuses maladies mais pas la cause du décès.

 

Pour conclure, je ne sais pas qui a bien pu, en France, appeler ces exercices « de la bannière » faisant cette erreur d’interprétation et de traduction puis la propager, mais je pense que Karin et Philippe continuerons de les appeler ainsi. D’ailleurs les erreurs de traduction ne sont pas l’apanage des français.